L’intimidation est un fléau répandu dans presque toutes les écoles du monde (UNESCO, 2019). Bien que les définitions de l’intimidation varient, les experts du monde entier semblent s’accorder sur le fait que l’intimidation constitue une sous-classe de comportement agressif caractérisée par trois propriétés principales, à savoir l’intentionnalité, la répétition et le déséquilibre des pouvoirs (Thomas, Connor et Scott, 2015). En d’autres termes, les intimidations sont un acte visant à nuire, physiquement, psychologiquement ou socialement (intentionnalité), à une victime moins puissante (déséquilibre de pouvoir) sur une période prolongée (répétition).
La plupart des intimidations à l’école se produisent sous la juridiction du personnel de l’école et surtout des enseignants. Cependant, de nos jours, il devient de plus en plus difficile pour les enseignants de détecter les actes d’intimidation qui se produisent autour d’eux dans le cyberespace, cachés derrière des smartphones protégés par un mot de passe et des profils de médias sociaux.
La nature cachée de la cyberintimidation : La menace silencieuse
La cyberintimidation est une forme d’agression dissimulée, semblable à l’exclusion sociale, aux commérages ou aux expressions faciales négatives. Elle est considérée comme telle parce qu’elle est médiatisée par l’utilisation de la technologie (c’est-à-dire les smartphones, l’internet) qui confère un certain anonymat et un détachement aux auteurs.
Le fait que certaines formes de violence et d’intimidation soient plus visibles que d’autres semble compliquer les choses pour les enseignants, car il leur est plus difficile d’évaluer la gravité de l’intimidation et d’influencer leur décision d’intervenir ou non.
La recherche a prouvé à maintes reprises que les enseignants accordent plus d’importance aux formes visibles de l’intimidation (par exemple, l’agression physique) et ont tendance à ignorer les formes cachées des intimidations (par exemple, la cyberintimidation), car ils ont tendance à sous-estimer leur gravité (Bauman & Del Rio, 2005 ; Asimopoulos et al., 2013).
La nature sociale de la cyberintimidation : Un poignard dans la foule
Ces dernières années, les chercheurs ont commencé à rompre avec la perspective dyadique (auteur vs cible) qui a longtemps dominé notre perception collective des intimidations . Aujourd’hui, les chercheurs s’orientent vers une lecture plus socio-écologique des intimidations , où celles-ci sont considérées comme une dynamique de groupe influencée par des contextes sociétaux plus larges (interactions entre pairs, familles, environnement scolaire, normes et croyances culturelles, etc.) (Swearer & Hymel, 2005).
L’approche socio-écologique permet de mieux comprendre la dynamique de la cyberintimidation (Swearer & Espelage, 2011). Par exemple, au-delà du microsystème immédiat auquel les enfants sont directement exposés (par exemple, la famille, les pairs, les enseignants), des contextes plus larges entrent également en jeu. Le mésosystème implique l’interaction entre deux ou plusieurs microsystèmes (par exemple, les relations entre élèves et enseignants), et l’exosystème fait référence à des facteurs qui peuvent ne pas être en contact direct avec les enfants mais qui les affectent néanmoins (par exemple, la politique de l’école qui façonne le contexte institutionnel et la formation du personnel pour réduire les intimidations).
Toutes ces couches sociales jouent un rôle dans aggravation ou atténuation des actes d’intimidation. Par exemple, les expériences sociales des enfants dans un microsystème (par exemple, la relation élève-enseignant) peuvent influencer leurs expériences dans d’autres microsystèmes (par exemple, les relations entre élèves). Étant donné que les enseignants jouent l’un des rôles les plus importants dans la vie des élèves et qu’ils peuvent avoir un impact considérable sur leur comportement, il est primordial de mieux les préparer à faire face à ce phénomène complexe et à plusieurs niveaux de manière proactive, en évitant le rôle préjudiciable de spectateur passif.
Formation des enseignants : Les trois piliers
La plupart des études menées dans les pays industrialisés ont révélé que les enseignants expriment constamment leur mécontentement face à l’absence de formation à la lutte contre le harcèlement dans leurs programmes de préparation (Charmaraman, Jones, Stein, & Espelage, 2013). Ce manque de préparation et de formation pourrait expliquer pourquoi de nombreux enseignants choisissent de se désengager face à des questions complexes et problématiques telles que la cyberintimidation (Cassidy, Brown, & Jackson, 2012).
1.Sensibilisation
Pour aider les enseignants à prévenir, identifier et traiter les intimidations, il convient de les sensibiliser à l’ampleur du problème. Il convient d’accorder une plus grande attention à la représentation authentique des victimes. Des sous-groupes d’intimidateurs et de victimes, tels que les victimes qui intimident également leurs pairs (intimidateurs-victimes), pourraient aider les enseignants à brosser un tableau plus nuancé et plus complet de la situation.
En outre, il convient de remettre en question les stéréotypes selon lesquels les victimes manquent d’estime de soi, sont soumises et signalent aux autres qu’elles ne sont pas sûres d’elles. Ces stéréotypes peuvent jouer un rôle dans la formation d’une perception négative des personnes victimes du harcèlement, ce qui peut amener les enseignants à ne pas tenir compte des élèves victimes qui ne présentent pas les traits typiques associés à la victimisation, tels que ceux observés chez les victimes du harcèlement.
2.Remettre en question les fausses croyances des enseignants
Les mythes répandus sur les intimidations (par exemple, les intimidations ne sont qu’une partie normale de la croissance, et les intimidations renforcent le caractère) affectent également les cercles d’enseignants. Il est clair que les enseignants ne sont pas toujours conscients des effets néfastes des intimidations traditionnelles et de la cyberintimidation (Stauffer et al., 2012).
Il est absolument essentiel que les enseignants soient sensibilisés au fait que tous les sous-types d’intimidations sont graves et que les intimidations sous toutes leurs formes contribuent à créer un environnement scolaire toxique qui s’est avéré très défavorable à la réussite des résultats d’apprentissage.
3.Sensibilisation des enseignants : Combler le fossé technologique
Il existe un fossé bien documenté entre les enseignants et leurs élèves en termes de familiarité technologique (Cassidy et al., 2012). Ce fossé peut expliquer le faible intérêt des enseignants pour les incidents de cyberintimidation (Cassidy et al., 2012) et même pour la formation (Li, 2008).
En général, les enseignants semblent mettre davantage l’accent sur les résultats de l’apprentissage que sur la dynamique relationnelle entre leurs élèves (Li, 2008). Ce point de vue apparemment très répandu devrait être remis en question à tout moment, car les chercheurs en éducation du monde entier ont tendance à toujours souligner l’importance de relations saines avec les pairs et d’un bon climat de classe pour favoriser la réussite scolaire (Wang et al., 2013).
La prudence des enseignants dans leur perception et leur traitement de la cyberintimidation semble provenir d’une hésitation technologique et d’une réticence à l’égard du numérique. Toutefois, il serait possible d’y remédier si les enseignants recevaient une formation, des conseils et un soutien suffisants.
Les politiques scolaires pourraient également fournir aux enseignants des lignes directrices pour le suivi, le signalement et le traitement des cas d’intimidation.
La formation (en particulier la formation technologique) et le matériel écrit pourraient également s’avérer très efficaces pour soutenir les efforts des enseignants contre la cyberintimidation. Les enseignants devraient également disposer d’un espace pour partager et discuter des cas de harcèlement entre eux et avec d’autres éducateurs plus expérimentés.
Étant donné que les enseignants peuvent avoir plus d’occasions d’être témoins d’incidents d’intimidation et de cyberintimidation que toute autre figure adulte présente dans la vie d’un enfant. Une plus grande attention portée aux perspectives, aux rôles et à l’autonomisation des enseignants devrait s’avérer décisive dans la création d’un climat scolaire positif où les incidents de harcèlement et de cyberharcèlement sont maintenus à un minimum.