Un paradoxe français : élèves globalement « en bonne santé », mais signaux rouges en hausse
Santé mentale des collégiens et lycéens : Les données de l’enquête EnCLASS 2022 montrent un tableau contrasté chez les collégiens et lycéens de l’Hexagone. D’un côté, une majorité d’élèves se disent en bonne santé et satisfaits de leur vie. De l’autre, les indicateurs de souffrance psychique progressent nettement, surtout au cours des années collège.
Quelques repères pour situer l’ampleur du phénomène :
- Bien-être mental : 59 % des collégiens et 51 % des lycéens présentent un bon niveau de bien-être. Autrement dit, presque un lycéen sur deux ne s’y retrouve déjà plus.
- Solitude : 21 % des collégiens et 27 % des lycéens déclarent se sentir seuls.
- Plaintes somatiques et/ou psychologiques récurrentes : 51 % des collégiens et 58 % des lycéens y sont confrontés.
- Risque dépressif : 14 % des collégiens et 15 % des lycéens présentent un risque important de dépression.
- Idéations et passages à l’acte chez les lycéens : 24 % rapportent des pensées suicidaires au cours des 12 derniers mois ; 13 % ont déjà tenté de se suicider au cours de leur vie ; environ 3 % ont nécessité une hospitalisation.
Deux tendances structurantes s’en dégagent :
- La santé mentale se dégrade durant le collège et ne s’améliore pas au lycée.
- Les filles sont plus touchées que les garçons, avec une baisse plus marquée du bien-être et des indicateurs de santé mentale dégradés. Entre 2018 et 2022, l’ensemble des courbes s’est détérioré, là encore davantage chez les adolescentes.
L’école peut-elle inverser la courbe ? Des programmes universels à l’épreuve des faits
Face à cette situation, de nombreux pays ont investi l’école comme levier d’action, en déployant des programmes universels (s’adressant à tous les élèves) de sensibilisation, de littératie en santé mentale ou de promotion du bien-être. Les évaluations publiées au Royaume-Uni entre 2018 et 2024 apportent toutefois un sérieux bémol.
Trois dispositifs emblématiques ont été testés à grande échelle dans des écoles publiques (primaires et secondaires) :
- YAM (Youth Aware of Mental Health) : cinq séances animées par des intervenants externes, centrées sur la compréhension de la santé mentale et la prévention du suicide via des jeux de rôle.
- The Guide (Mental Health and High School Curriculum Guide) : formation des enseignants pour délivrer six sessions sur les troubles mentaux, la stigmatisation et l’orientation vers les aides.
- Aware & Inspire : enseignements et pratiques autour de la pleine conscience, de la relaxation, de la sécurité et du bien-être.
Des résultats mitigés, parfois contre-productifs
Les évaluations convergent : pas d’effet significatif sur la réduction des difficultés émotionnelles chez les élèves. Dans certains cas, les interventions sont même associées à une aggravation de l’insatisfaction de vie ou de certaines difficultés rapportées. Les approches de pleine conscience et de relaxation ne montrent pas d’effet notable sur les troubles émotionnels.
Seule lueur positive : The Guide et certaines leçons « sécurité/bien-être » d’Aware & Inspire semblent augmenter la propension à demander de l’aide, surtout à l’école primaire. Au vu de ces résultats, les autorités britanniques recommandent de suspendre la généralisation de ces programmes tant que des données probantes n’identifient pas clairement pour qui, dans quelles conditions et avec quels mécanismes ils fonctionnent.
Pourquoi ça cale ? Trois angles morts fréquents
- Le “tout universel” face à des besoins hétérogènes
Les élèves n’ont ni les mêmes vulnérabilités ni les mêmes contextes de vie. Un dispositif identique pour tous a peu de chances de répondre efficacement aux situations de détresse, aux troubles installés ou aux facteurs de risque spécifiques (harcèlement, violences, précarité, minorités sexuelles et de genre, etc.). - L’individualisation des solutions
Beaucoup de programmes misent sur des compétences individuelles (respirer, se relaxer, “penser autrement”) sans agir sur les déterminants scolaires : climat de classe, charge et organisation du travail, politiques anti-harcèlement effectives, formation et conditions d’exercice des adultes, participation des élèves. Quand l’environnement souffrant ne change pas, la charge repose sur l’élève, avec un risque de culpabilisation. - Le temps et la continuité
Des modules courts, isolés dans l’année, peinent à modifier durablement des trajectoires. La santé mentale se travaille dans la durée, par l’alignement entre ce qui est enseigné et ce qui est vécu au quotidien dans l’établissement.
Que faire alors ? Une stratégie en quatre étages
Plutôt qu’un “kit miracle”, les données françaises et internationales plaident pour un continuum d’actions articulant prévention universelle, actions ciblées et soins, avec une gouvernance claire au niveau de l’établissement.
1) Agir sur l’environnement scolaire (universel)
- Climat et sécurité : politiques anti-harcèlement appliquées, procédures de signalement simples, protection active des élèves les plus exposés (notamment les filles et les jeunes LGBT).
- Pédagogie soutenable : aménagements de la charge de travail, espaces d’expression réguliers, rituels de classe qui soutiennent l’appartenance et la coopération.
- Compétences psychosociales intégrées au curriculum : pas un “atelier one-shot”, mais des apprentissages spiralisés du primaire au lycée, reliés aux situations de classe et au socle commun.
2) Outiller les adultes de l’école
- Formation des enseignants, CPE et personnels de vie scolaire à la détection précoce, à l’orientation, à la relation d’aide de premier niveau et à la gestion de situations sensibles.
- Référent santé mentale dans chaque établissement, avec du temps identifié pour coordonner la prévention et le lien vers les soins.
- Supervision/espaces d’appui pour les équipes, afin d’éviter l’épuisement compassionnel.
3) Cibler les élèves à risque
- Repérage systématique des signaux d’alerte : baisse du bien-être, isolement, plaintes somatiques répétées, absentéisme, violences subies, idées suicidaires.
- Interventions de groupe à petite échelle pour les élèves ciblés (gestion de l’anxiété, compétences d’autorégulation, remédiation des compétences sociales) menées par des professionnels formés, avec évaluation de l’effet.
- Articulation avec les familles et les partenaires locaux (CMP, CMPP, maisons des ados, associations).
4) Garantir l’accès rapide aux soins
- Parcours d’orientation clairs, partenariats formalisés avec les structures de santé mentale, délai d’accès réduit pour les situations à risque (idées suicidaires, dépression, troubles du comportement alimentaire).
- Confidentialité, consentement et continuité : trois conditions non négociables pour restaurer la confiance des adolescents.
Mesurer ce qui compte vraiment
Les évaluations doivent aller au-delà des “impressions positives” pour suivre des indicateurs précis et partager les résultats avec la communauté éducative :
- Bien-être et symptômes émotionnels au fil de l’année (pas uniquement avant/après un module).
- Demandes d’aide et accès effectif aux ressources.
- Incidents de harcèlement, climat scolaire, sentiment d’appartenance.
- Inégalités de genre et d’exposition des minorités : viser une réduction des écarts, pas seulement une moyenne stable.
En bref : la santé mentale des collégiens et lycéens est avant tout
- En France, les indicateurs de santé mentale des élèves se détériorent du collège au lycée, particulièrement chez les filles.
- Les programmes scolaires universels évalués au Royaume-Uni affichent peu ou pas d’impact sur les difficultés émotionnelles, avec quelques effets positifs limités sur la demande d’aide en primaire.
- La réponse la plus crédible combine changement des environnements, montée en compétence des adultes, soutien ciblé des élèves à risque et accès rapide aux soins.
- Sans cohérence systémique et mesure continue, on risque de multiplier les dispositifs sans effets concrets, voire de générer de la déception.
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Sources d’inspiration
- EnCLASS 2022 – Santé mentale et bien-être des collégiens et lycéens en France métropolitaine (données et tendances générales).
- Synthèses d’évaluations britanniques 2018–2024 sur l’efficacité des interventions universelles en santé mentale à l’école (YAM, The Guide, Aware & Inspire).









